07/11/2024
Eden ..en poche
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d'acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
06:03 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audur ava olafsdottir
05/11/2024
En Salle...en poche
"Sur l'écran des frites, les 27 more pending annoncent un rush qui n'en finira plus. L'heure de débauche est arrivée pour moi mais tout le monde tourne la tête , m'ignore et je continue d'implorer je peux rentrer maintenant ? Cinq minutes passent, vingt minutes, trente minutes. Ils m'ont oubliée là , dans l'affluence infinie. "
L'incipit de ce roman qui alterne, en séquences parfois très courtes, l’entretien d'embauche de la narratrice dans un fast-food et le souvenir d'enfance de sa famille se rendant dans ce type de restaurant, source de joie et d'excitation pour les enfants et d'angoisses pour le père , est extrêmement fort. Tout est déjà dit de cette inadéquation de cette famille modeste qui ne possède pas les codes et se trouve submergée par la mécanique précise du fast-food.
Cette même oppression ressentie par le corps du père à l'usine et par la fille quand elle officiera dans ce type de restauration rapide.
Horaires à rallonge, petits chefs jouissant de leur pouvoir, valeurs faussées, tout est vu de l'intérieur avec acuité. Cette même acuité dont fait preuve la narratrice quand elle analyse la maison que lui fait visiter un petit bourgeois de son entourage. Un premier roman qui nous fait ressentir ce que c'est que le travail abrutissant aussi bien les corps que les esprits.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire baglin
04/11/2024
Highlands
"Ici, tout est à la fois statique et mobile, ancré et temporaire."
Trois femmes, totalement différentes, ne se connaissant pas, se rendent dans les Highlands d’Écosse, en plein hiver.
Là, face au climat changeant, aux paysages somptueux, elles vont expérimenter avec leur corps la rudesse de ces territoires qui les éreintent , mais les libèrent aussi.
Placé sous l'égide de Nan Sheperd, infatigable arpenteuse des collines de Cairngorms, écrivaine et poétesse professant l'union avec la Nature, ce roman choral flirte avec le fantastique (voire l'horreur parfois) pour atteindre cet objectif.
L'écriture est précise et nous plonge avec sensualité dans ces espaces sauvages qui prennent vie de manière intense sous nos yeux. Une expérience puissante (et qui m'a donné envie de découvrir La montagne Vivante de Nan Sheperd). Et zou, sur l'étagère des indispensables.
192 pages
Les Éditions Québec Amérique
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : fanie demeule, québec
01/11/2024
Nos vendredis
"Ça respirait le bonheur d'avant. Tout était si paisible. On entendait les oiseaux et le froissement des feuilles de papier. Elle inspire cette nostalgie-là. Elle envie cette paix-là.
C'était l'époque où ,légère, elle flânait entre les rayonnages en bois.
C'était époque où Blanche n'aimait que son mari. "
Meg, autrefois journaliste, aujourd’hui mère comblée de trois enfants , entreprend de relater la vie de son quartier cossu pour échapper à un quotidien trop étouffant.
Ici, tout est feutré, les burn-out maternels se font en catimini et les grandes baies vitrées ne révèlent rien des secrets de ses voisins.
Pourtant, la forêt est proche. Pourtant, un cri de femme, que ne semblent pas entendre les hommes du quartier , jaillit la nuit. Cri de frustration, de désespoir ?
Au fil des chapitres, nous découvrons cet univers où les problèmes se règlent avec délicatesse, où les drames sont tus. Quelques coups de griffes au passage, mais rien de trop sérieux car l'autrice privilégie la subtilité et l’empathie envers ses personnages. Une jolie découverte que ce premier roman.
Editions Les Impressions nouvelles
06:00 Publié dans Roman belge | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nathalie marquès
31/10/2024
Révélée / Disclaimer
"Plus jamais elle ne sera la personne qu'on pensait qu'elle était. Il aura déformé leur vision. "
Catherine, journaliste documentariste est au sommet de sa carrière quand elle découvre un roman qui relate un épisode de son passé qu'elle avait soigneusement occulté et caché à ses proches. A partir de cet instant , tout va s’effriter petit à petit et la vie, en apparence, parfaite de Catherine va être dévastée.
Alternant les narrateurs et les époques, le roman de Renee Knight est une parfaite mécanique de destruction qui remet aussi en question les histoires que nous (nous) racontons. Le retournement de situation dans la dernière partie du roman est magistral et je me garderai bien de vous le révéler. L'autrice joue avec nos nerfs et son écriture à la fois précise et charnelle rend compte du quotidien et des tourments de ses héros. Un roman que j'avais raté à sa sortie et qui vient d’être magistralement adapté en série. Je vous recommande chaudement les deux.
09:25 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : renee knight
22/10/2024
#Desmoutonspleinmachambre #NetGalleyFrance !
"J'étais une terre gagnée lentement par la banquise. "
Dire que ce roman a pour narrateur un enfant gravement malade serait extrêmement limitatif car comme il le déclare lui-même à propos d'un projet de roman que lui suggère son cousin : "Il restait la maladie mais franchement je ne voulais pas lui accorder plus d'importance en racontant tous les mauvais tours qu'elle me jouait. "
Ce qui importe ici c'est d'une part le regard qu'il porte sur sa famille, ses amis, sa lucidité et sa manière nuancée d'aborder les sujets les plus graves, par petites touches non dénuées d'humour et de délicatesse. Mêlant les temporalités, l'auteur fait ainsi l'économie du pathos et nous livre un roman sans grands enjeux narratifs, qui paraîtra sans doute lent à certains , mais dont il faut prendre le temps d'apprécier les nombreuses remarques pleines de justesse. Une belle découverte.
Merci à Netgalley et à l'éditeur : La Belle Étoile 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : michael uras
21/10/2024
Le Buzuk
"Et alors, et s'ils étaient venus justement, pour ça, parler aux mouettes, défendre le lapin de garenne, le crabe tacheté ou le maquereau agile, ces jeunes sont nos alliés. Et puis je me suis dit, calme-toi, Joséphine ; si tu n'es pas une mouette, tu n'es pas Jeanne d'Arc non plus. "
Le Buzuk , c'est le nom du chien (mais pas que) dont a hérité Joséphine à la mort de son mari. Mari à qui elle s'adresse régulièrement, histoire de le tenir au courant non seulement des nouvelles de la famille, mais aussi de ce petit paradis breton où elle vit.
Mais justement ce paradis court le danger d'être transformé en golf. Par chance, de jeunes marginaux avec qui Joséphine va sympathiser vont décider de défendre cette zone contre vents et marées...
Très programmatique, ce roman fait passer un bon moment de lecture sans prise de tête, mais offre néanmoins l'originalité de nous offrir un narrateur non fiable, dont le manque d'exactitude se révèle progressivement...
Merci à Babelio et à l'éditeur .
Editions Viviane Hamy 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marie kelbert
10/10/2024
La végétarienne/ Prix Nobel de Littérature.
"C'était un corps débarrassé de toute superfluité jusque dans ses moindres aspects."
Sous l'influence d'un rêve, l'héroïne, Yönghye, devient végétarienne car elle aspire à devenir elle-même végétale et à détruire l'origine de la violence.
Cette lente descente vers la folie fait peu à peu éclater les liens familiaux et sociaux quelle entretenait.
Présenté en un triptyque où la voix de l’héroïne se fait très peu entendre, son mari, son beau-frère et sa sœur prennent tour à tour la parole pour narrer les différentes étapes de cette glissade vers l'absolu, le récit exerce une sourde fascination.
Tout à la fois poétique, critique et un peu érotique, le roman de Han Kang touche à l'universel. 212 à savourer lentement pour mieux s'en imprégner
Han Kang a reçu le Booker Prize pour ce roman paru au livre de poche en 2016. Traduit du coréen par Jeong Eun-Jing et Jacques Batilliot
19:50 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6)
La ligne de nage...en poche
"Vous auriez dû vivre (qu'est-ce que vous avez fait à la place ? Vous avez joué la sécurité, vous êtes restée dans votre ligne de nage )."
Dans la première partie de ce récit, nous découvrons une communauté hétéroclite , mais soudée, celle de nageurs qui fréquentent une piscine en sous-sol. Tous ceux qui respectent les règles implicites y ont leur place. Y compris Alice dont la mémoire est de plus en plus défaillante. La routine y est de mise et chacun trouve dans ce sas de quoi supporter la "vie d'en haut".
Las, une fissure dans le fond du bassin vient troubler cette belle harmonie. On peut y voir la métaphore de tout élément perturbateur qui vient déranger nos existences et en l’occurrence ici celle de la vie d'Alice.
La troisième partie recense tous les oublis de cette femme et à l'inverse tous les souvenirs de celle qui fut internée dans un camp pour Nippo-Américainss durant la Seconde guerre mondiale. Un portrait impressionniste et plein d'humanité.
Changement de tonalité avec "Belavista" où sont égrainées implacablement les différentes étapes que connaîtra Alice dans cet établissement spécialisé où son mari et sa fille ont dû la faire entrer, au vu de la dégradation de son état mental.
Dans la dernière partie, la narratrice et fille d'Alice évoque enfin sa relation à sa mère .
Sur un thème délicat et douloureux, Julie Otsuka réussit un texte sensible , prenant (même si la partie consacrée à la fissure est un peu longuette) et même moi qui déteste les piscines j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte profondément émouvant mais tout en retenue.
Traduit de l’anglais (E-U) par Carine Chichereau.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : julie otseka
09/10/2024
#Bâtardes #NetGalleyFrance !
"Nous sommes donc les bâtardes, mères de bâtardes,filles de bâtardes, perpétuant le cycle des mensonges et de l'obscurité. "
On estime le nombre d'enfants nés de mère française et de père appartenant à l'armée allemande durant la Seconde guerre mondiale entre 10 00 et 20 000. L'occasion pour ceux qu'on a appelés "les résistants de la dernière heure", de tondre ces femmes coupables de "collaboration horizontale", de se venger sur elles de leurs propre lâcheté (voire pire) en les tondant sur la place publique.
L'arrière petite fille d'une de ces femmes va remonter le temps des silences et des hontes pour mettre à jour les mensonges qui gangrènent plusieurs générations d'une lignée de femmes de sa famille.
Rachel Corenblit, avec beaucoup de sensibilité, donne la parole à chacune de ces femmes qui expriment avec beaucoup de lucidité leurs sentiments, mais aussi l'hypocrisie d'une société patriarcale. Une belle réussite.
15:58 Publié dans Jeunesse, Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rachel corenblit